La condamnation du Mali par la Cour africaine des droits de l'homme, vers une ultime relecture du code des personnes et de la famille

Pages72-85
Published date01 November 2020
Date01 November 2020
DOI10.3366/ajicl.2020.0332

La codification du droit de la famille a été la plus longue et la plus controversée de l'histoire de la politique législative au Mali. Elle est le résultat de 25 années de travaux préparatoires. L'objection majeure à cette codification était liée à la diversité culturelle. Il fallait trouver un équilibre entre le respect des exigences de l’État de droit et la sauvegarde légitime des intérêts religieux et culturels1. Une première version du Code des personnes et de la famille2 votée par l'Assemblée nationale, le 3 août 20093 fut remise en cause avant sa promulgation par les mouvements de protestation qui, pourtant, incarnait le souci d’équilibre4. L’État cède sous les pressions sociales et ordonne une seconde relecture. La seconde version du CPF, en vigueur, est votée le 30 décembre 20115. Il s'agit du code incriminé devant la Cour africaine.

En l'espèce, l'Association pour le progrès et la défense des droits des femmes maliennes (APDF) et l'Institute for Human Rights and Development in Africa (IHRDA) qui ont saisi la Cour de céans le 26 juillet 2016 pour voir condamner la République du Mali pour discrimination et violation des droits des femmes. Les requérants soutenaient que le CPF viole plusieurs dispositions des instruments juridiques internationaux des droits de l'homme ratifiés par le Mali. Ils exigeaient de la Cour la condamnation de l’État défendeur de modifier le code pour prendre en charge plusieurs mesures qui permettront de rendre conforme ledit code aux instruments qui lui sont supérieurs6.

L’État du Mali, défendeur en réponse soulève deux exceptions, l'une tirée de l'incompétence de la Cour, l'autre relative à l'irrecevabilité de la requête pour non-respect du délai raisonnable de saisine de la Cour conformément à l'article 6 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. L'adversaire estime que les requérants n'ayant pas épuisé les voies de recours internes, demande à la Cour de déclarer la requête irrecevable. Cette exception de procédure est rejetée par la Cour en arguant qu'aucun recours n’était disponible pour les requérants. Le recours en inconstitutionnalité étant le seul possible, les requérants n'avaient pas le droit d'en user. Dans la même logique la Cour rejette aussi l'exception tirée du non-respect d'un délai raisonnable de dépôt de la requête. Pour la Cour le retard accusé par les requérants avant sa saisine est dû à la situation de crise exceptionnelle qui accompagnait l'adoption du premier code de la famille, notamment avec le vaste mouvement de protestation des forces religieuses. Cette exception est aussi rejetée.

Finalement, les juges d'Arusha ont rendu le 11 mai 2018 un arrêt contre la République du Mali pour discrimination et violations des droits de l'homme. Ils enjoignent alors au Mali de modifier son code dans un délai de deux ans pour non-conformité à ses engagements internationaux7. Cette condamnation à double tranchant prolonge les débats polémiques autour des questions sensibles du droit de la famille au Mali.

Au regard de la question principale posée, à savoir, la violation des droits fondamentaux des femmes et de l'enfant et la discrimination à leur égard, la Cour a jugé qu'eu égard les dispositions incriminées du CFP du Mali et les dispositions pertinentes des différents instruments juridiques relatifs au respect des droits fondamentaux et au principe de non-discrimination, que la République du Mali avait violé les dispositions des textes en cause. Au fond, la Cour constate quatre violations arguées par les requérants contre l’État défendeur notamment : la violation de l’âge minimum du mariage qui est de 18 ans ; l'existence incertaine du consentement de la femme lorsque le mariage est célébré devant le ministre du culte ; l'existence d'inégalité successorale des femmes et des enfants naturels ; l'existence des pratiques religieuses ou traditionnelles nuisant aux droits des femmes et des enfants.

La Cour africaine pour rendre sa décision rejette les contraintes d'ordre public, religieuses ou culturelles arguées par le Mali qui l'empêcheraient d'harmoniser certaines dispositions de son code avec ses engagements internationaux. Face à cette situation deux visions s'opposent : d'une part, celle du Mali qui s'inscrit dans une dynamique de légitimité. Pour lui, le code ayant bénéficié une large adhésion des couches sociales lui procure une légitimité, nécessaire au respect du code. D'autre part, la Cour ne s'intéressant qu’à la légalité, position de la demanderesse, prône le respect de celle-ci fût-il l'existence des mouvements nationaux de protestation, susceptibles de mettre en péril la paix sociale. Par cette décision, le Mali doit réintégrer dans le code ce qu'il a été contraint d'abandonner sous la pression des mouvements religieux de protestation. Si cette condamnation constitue une saine application de la loi, son exécution devrait l’être autant. Les contestations d'une couche sociale dites susceptibles de mettre en péril la stabilité sociale ou institutionnelle doivent être considérées comme un faux problème au même titre que la légitimité, car la légitimité nationale est opposée ici à la légitimité internationale.

Cette décision est une première pour cette haute juridiction africaine qui, à bien des égards, est une leçon pour l'ensemble des États membres qui ont une législation fortement inspirée ou influée par la religion sur certains points relatifs à l’état des personnes8. Cette leçon qui pique notre curiosité, constitue le fil conducteur de notre approche. L'une des conséquences de cet arrêt est le rejet de la question culturelle ou religieuse comme élément dérogatoire à l'application du droit international des droits de l'homme. C'est pour cette raison que cet arrêt constitue une affirmation de la conventionalité comme mode d'expression juridique privilégié de l’État (I) et sonne le glas de « l'imperméabilité des contraintes sociales » (II).

LA CONVENTIONALITÉ AFFIRMÉE COMME MODE D'EXPRESSION JURIDIQUE PRIVILEGIÉE DE L’ÉTAT

Si l'idée de protection internationale des droits de l'homme sur le continent africain remonte aux premières heures de l'indépendance, celle-ci ne se concrétise qu'au début des années 1980 avec l'adoption de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, le 27 juin 1981, entrée en vigueur le 21 octobre 19869, une période marquée par l'autoritarisme politique. Progressivement, le système africain se construit. Une Cour africaine est instituée10 pour voir triompher les idéaux de justice, de liberté et de dignité, inspirés par la Charte11. La décision en l'espèce s'inscrit dans cette logique. Les requérants estimant la violation de la Charte et autres instruments pertinents, exige le respect de cette légalité conventionnelle, la Cour suit ce raisonnement (A). De son côté, le Mali soutenant que le code, régulièrement adopté a bénéficié d'une large adhésion des populations, d'où sa légalité et sa légitimité. Mais, il s'agit d'une légitimité nationale opposée à la légitimité conventionnelle, la Cour tranche en faveur de...

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