Clientélisme et Patrimonialisme dans le Monde Arabe

Published date01 October 1983
DOI10.1177/019251218300400404
Date01 October 1983
AuthorYves Schemeil,Jean Leca
Subject MatterArticles
455
CLIENTÉLISME
ET
PATRIMONIALISME
DANS
LE
MONDE
ARABE
JEAN
LECA
YVES
SCHEMEIL
Les
questions
classiques
relatives
au
patronage
(est-ce
que
les
différentes
formes
de
patronage
peuvent
être
regroupées
sous
une
seule
catégorie?
peut-on
opposer
"clientélisme
dyadique"
et
"clientélisme
corporatif"?
quelle
est
la
relation
entre
le
comportement
clicntéliste
et
l’économie
politique
d’une
société
donnée?)
ne
sont
pas
inconnues
des
spećialistes
d’une
région
le
phénomène
est
endémique
et
dont
on
trouve
trace
durant
une
période
de
temps
exceptionnellement
longue.
La
première
partie
de
cet
article
traite
des
formes
et
des
significations
du
patronage
telles
qu’exprimées
par
la
langue
arabe
et
la
(ou
les)
culture(s)
politiques(s)
du
"monde
arabe"
(meme
si
l’homogénéite
de
la
région
peut
être
mise
en
doute).
Les
liens
avec
la
parenté,
l’esclavage,
la
protection,
l’inter-mediation,
le
leadership
et
l’honneur
sont
analysés.
D’autres
termes
sont
utilisés
pour
désigner
le
patronage
lorsqu’il
n’est
relié
ni à
l’honneur
ni
à la
famille
mais
à des
clans
ou à
des
malversations.
La
deuxième
partie
essaye
de
rendre
compte
du
patronage
en
tant
que
forme
de
pouvoir
dans
le
cadre
des
principaux
modes
de
domination
de
la
région:
les
modes
traditionnels
(tribal
ou
"Khaldunien"
et
partimonial,
particulièrement
les
formes
otto-
manes
et
mamelouks),
les
empires
coloniaux
et
les
états-nations
contemporains.
Les
principates
caractéristiques
des
états-nations
sont
analysées
afin
de
mettre
en
contraste
le
clientélisme
et
la
citoyenneté
moderne
ainsi
que
pour
souligner
les
traits
spécifiques
aux
communautés
politiques
arabes
(importance
du
système
international,
économique
et
religieux;
faiblesse
de
la
classe
ouvrière
et
de
la
société
civile;
primauté
du
politique).
La
perspective
du
clientélisme
au
niveau
national
et
local
amène
l’auteur
à
conclure
que
la
modernisation
n’est
pas
du
tout
synonyme
de
déclin
du
patronage.
La
relation
de
clientele,
en
tant
qu’alliance
dyadique
verticale
entre
deux
personnes
de
statut,
de
pouvoir
et
de
ressources
in6gaux,
dont
chacune
d’entre
elles juge
utile
d’avoir
un
alli6
sup6rieur
ou
inf6rieur ~
elle-meme,
(Lande,
1977a:
xx)
est
susceptible
d’6tre
reperee
dans
n’importe
quel
type
de
r6gime
et
de
societe
contemporains.
11
est
impossible
de
trouver
un
exemple
de
r6gime
d’ou
cette
relation,
avec
ses
trois
ingr6dients
de
base
(in6galit6,
reciprocite,
proximit6),
serait
completement
absente,
car
les
individus,
surtout
quand
ils
se
sentent
vuln6rables
(Waterbury,
1977a:
337)
estiment
toujours
plus
facile
et
plus
6conomique
d’y
recourir
456
pour
obtenir
des
avantages
particuliers
plutot
que
de
se
soumettre
aux
m6canismes
du
march6,
de
la
bureaucratie
ou des
associations
collectives,
a
supposer
que
ces
m6canismes
fonctionnent
normalement,
ce
qui
est
rarement
vrai.
Meme
dans
des
systbmes
politiques
&dquo;modernes&dquo;,
il
existe
des
situations
ou
le
marche
des
biens
valoris6s
est
segmente
ou
relache,
les
ressources
sont
(ou
sont
perques
comme)
inextensibles
(Foster,
1965),
ce
qui
pousse
les
dominants
a
maintenir
des
r6seaux
particularistes
de
clients
en
qui
ils
ont
enti6rement
confiance
parce
que
ces
clients
leur
doivent
tout,
et
les
domin6s
a
adopter
une
posture
de
deference
envers
certains
dominants
pour
en
tirer
en
retour
un
aeees
aux
ressources
rares.
Le
monde
arabe
ne
constitue
donc
ni
une
exception,
ni
une
anomalie.
11
n’est
d’ailleurs
pas
d6fendu
de
penser
que
la
politique
est
une
sphere
plus
port6e
au
patronage
que
toute
autre
dans
la
mesure
ou
les
b6n6fices
qu’elle
apporte
(pouvoir,
securite,
identification a
une
com-
munaut6)
sont ~
long
terme
peu
calculables,
peu
mesurables
et
supposent,
pour
etre
atteints,
la
promesse
d’un
soutien
inconditionnel
dans
des
situations
hypoth6tiques
de
conflit
total
(Gellner,
1977: 5).
Bien
que
cette
remarque
puisse
sembler
trop
abstraite
et
a-historique,
elle
a
au
moins
le
m6rite
de
relativiser
1’image
familiere
que
l’on
se
forme
du
monde
arabe,
un
monde
de
patronage
ou
la
politique
apparait
comme
une
affaire
de
famille,
de
clans,
de
pr6tendus
leaders,
de
&dquo;piston&dquo;.
Cette
image
6mane
souvent
de
I’Occident
et,
comme
toute
image
produite
par
un
langage
commun
faussement
innocent,
elle
donne
envie
d’affirmer
que
&dquo;le
monde
arabe
n’existe
pas
scientifiquement,&dquo;
qu’il
est
culturellement
pluraliste,
que
les
monarchies
traditionnelles
ou
modernisantes,
les
r6publiques
r6volutionnaires,
les
proto-d6moeraties
lib6rales
ou
con-
sociationnelles,
ont
peu
de
points
communs,
etc.
11
demeure
que
l’identit6
arabe
fait
l’objet
de
d6bats
suffisamment
nombreux
dans
le
monde
arabe
lui-meme
pour
que
la
umma
arabiya
(expression
a
peu
pr6s
intraduisible
aux
connotations
ethniques,
religieuses
et
politiques)
puisse
etre
consideree
comme
un
probl6me
commun.
Quant
a
1’image
arabe
de
la
politique,
elle
est
produite
par
le
langage
indigene.
S’il
admet,
faute
de
mieux,
que
le
pouvoir
politique
est
un
moyen
ordinaire
d’enrichissement
personnel,
il
v6hicule
n6anmoins
des
sentiments
de
hiqd,
ressentiment,
haine
de
la corruption,
frustration
relative
(Ajami,
1981:183).
Les
journalistes
et
publicistes
d6noncant
cette
situation
surpassent
en
nombre
ceux,
qui
existent
aussi,
qui
d6versent
des
&dquo;banalit6s
passant
pour
la
v6rit6,
ces
versions
du
monde
dict6es
par
leurs
plus
recents
patrons&dquo;
(Ajami,
1981: 2,
donne
1’exemple
d’un
client
du
pr6sident
Nasser,
pass6
a
un
nouveau
patron,
1‘Arabie
457
Saoudite).
A
de
rares
exceptions,
les
hommes
d’affaires
arabes
mettent
1’accent,
pour
le
d6plorer
vertueusement,
sur
la
fusion
de
leurs
affaires
avec
leur
vie
personnelle,
sur
le
poids
des jugements
de
leurs
proches,
sur
le
&dquo;ndpotisme&dquo;
et
1’aide
qu’il
convient
d’apporter
n6cessairement
a
la
famille
élargie,
sur
la
mediation
que
l’on
est
prie
d’exercer
ou
que
l’on
doit
demander
a
ses
connexions
personnelles
afin
de
rendre
ou
d’obtenir
un
service
(Muna,
1980:
30-37;
75-77).
I
Le
discours
savant,
principalement
(mais
non
exclusivement)
occi-
dental,
participe
de
la
diffusion
de
cette
image:
un
pouvoir
politique
dependant a
tous
les
niveaux,
d’allegeances
personnelles
aux
leaders,
le
contenu
de
ces
allegeances
se
d6plaqant
progressivement
des
liens
de
sang
et
de
la
religion
vers
les
liens
militaires
ou
id6ologiques
(Sharabi,
1963);
1’absence
de
confiance
r6ciproque
au
jour
le
jour
entre
les
gouvernements
et
leurs
peuples,
qui
produit
des
alternances
de
scepticisme
passif et
d’explosions
de
credulite
...
ou
de
r6volte
(Berger,
1976:
126,
129);
une
corruption
&dquo;end6mique&dquo;
ou
&dquo;planifi6e&dquo;
(Waterbury,
1973a,
1976a);
un
&dquo;syndrome
bureaucratique-technocratique
mettant
1’accent
sur
1’apparence
plut6t
que
sur
la
realite,
sur
les
arrangements
priv6s
plutot
que
sur
le
d6veloppement
national&dquo;
(Kerr,
1981:
15)
etc.
Mais
si
le
discours
savant
établit
ainsi
la
legitimite
d’une
etude
du
monde
arabe
pour
mieux
conneitre
le
client6lisme,
il
invite
aussi
à
quelques
pr6cautions:
meme
quand
il
hasarde
quelques
g6n6ralit6s
sur
1’ensemble
du
monde
arabe
(Bill
et
Leiden,
1974,
sur
le
patrimonialisme;
Hudson,
1977,
sur
1’organisation
verticale
des
soci6t6s),
il
signale
la
variete
des
processus
historiques,
la
necessite
d’en
tenir
compte
pour
replacer
un
langage
social
apparemment
uniforme
dans
des
contextes
6conomiques
specifies.
La
profondeur
du
champ
historique
arabe
est
telle
qu’on
peut
nourrir
l’illusion
de
se
trouver
devant
un
modele
(ou
un
programme)
eternellement
r6p6t6.
Pour
eviter
les
pieges
sym6triques
de
l’invariance
(qui
fait
du
patronage
une
structure
perdurable)
et
de
1’evolutionnisme
(qui
en
fait
un
phenomene
transitoire
ou
&dquo;dépassé’’),
le
moindre
mal
est, de
toujours
specifier
le
moment
historique
dont
on
parle
et
le
contexte
de
la
relation
de
clientele.
De
ce
point
de
vue,
le
monde
arabe
n’est
pas
different
de
n’importe
quel
autre
terrain
d’analyse.
La
relation
de
clientele
pose
un
certain
nombre
de
probl6mes
classiques.
Trois
d’entre
eux
m6ritent
une
mention
particuli6re
pour
leur
pertinence
dans
les
etude
arabes.
(1)
Tout
d’abord,
les
formes
de
patronage
sont
multiples
dans
le
monde
arabe
comme
en
t6moigne
le
glossaire
r6capitulatif.
11
n’est
pas

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