Le compromis de Kampala sur le crime d'aggression
Author | Claus Kreß,Leonie von Holtzendorff |
DOI | 10.3366/ajicl.2011.0010 |
Pages | 167-207 |
Date | 01 September 2011 |
Published date | 01 September 2011 |
Aucun des acteurs présents à l’époque n'oubliera cette nuit dramatique du 17 au 18 juillet 1998 à Rome, lorsque la version finale du compromis atteint sur le Statut de la Cour Pénale Internationale
A/CONF.183/9, 17 juillet 1998, et corrigé par les procès-verbaux du 10 novembre 1998, 12 juillet 1999, 30 novembre 1999, 8 mai 2000, 17 janvier 2001 et 16 janvier 2002 (entrée en vigueur le 1er juillet 2002).
(CPI) a été soumise à la Conférence diplomatique. Les montres avaient été arrêtées et la grande majorité des délégués laissaient éclater leur joie suite à l'adoption de la version finale du compromis. La nuit du 11 au 12 juin à Kampala, alors que la Conférence portant révision du Statut de la CPI cherchait à atteindre un compromis sur le crime d'agression, fut tout aussi intense. Comme en 1998, les montres furent arrêtées à minuit, heure à laquelle la Conférence devait officiellement se terminer. Un moment plus tard, lorsque le Président de la Conférence, l'ambassadeurSur la plus récente contribution de Donald Ferencz au débat doctrinal, voir «Bringing the Crime of Aggression within the Active Jurisdiction of the ICC», 42
Même si ce moment fort de la Conférence de Kampala n'est pas sans rappeler ce sentiment de victoire connu à Rome une décennie auparavant, une différence doit être signalée: la décision de Kampala a fait l'objet d'un consensus, contrairement à ce qui s’était passé à Rome. Les Etats-Unis, sans faire formellement partie du processus de décision (ils ne sont pas un Etat partie au Statut de la CPI), ont considéré que les réserves qu'ils avaient formulées avaient été sérieusement prises en compte.
Dans les propos qui suivent, nous montrerons comment la discussion quasi séculaire sur le crime d'agression a finalement abouti à Kampala. Mais au-delà, nous voudrions donner un premier avis sur l'accord trouvé, que nous pensons être une avancée significative dans la consolidation du système de la justice pénale internationale qui en est à ses débuts.
Si Nuremberg marque le point de départ du droit international pénal
Le droit international pénal entendu strictement établit le principe de la responsabilité pénale individuelle directement en droit international, cf. Cl. Kreß,
Pour un résumé récent des évolutions antérieures à Nuremberg, cf. J. Nyamuya Maogoto, «Aggression: Supreme International Offence still in Search of Definition», 6
L'article 6 (a) de la Charte de Londres définit ces crimes comme suit: «la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d'une guerre d'agression, ou d'une guerre en violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour l'accomplissement de l'un quelconque des actes qui précèdent».
«To initiate a war of aggression, therefore, is not only an international crime, it is the supreme crime», in: «Judicial Decisions, International Military Tribunal (Nuremberg), Judgment and Sentences», 41
Pour un bref résumé sur la question de savoir si ce précédent «constitutif» entre en contradiction avec le principe de légalité
Discours d'ouverture du Premier avocat général des Etats-Unis, reproduit in:
Bien que l'Assemblée Générale des Nations Unies avait déjà reconnu les principes de Nuremberg comme droit international,
ONU Doc. A/RES/95 (1946), para. 1, du 11 décembre 1946.
et que la jurisprudence de Tokyo était conforme au précédent de Nuremberg,Pour une excellente présentation de la contribution du tribunal militaire de Tokyo à ces développements, cf. N. Boister and R. Cryer, The
E. Wilmshurst, «Aggression», in: R. Cryer, H. Friman, D. Robinson et E. Wilmshurst,
Annexe à ONU Doc. A/RES/3314 (XXIX) du 14 décembre 1974 (Res. n°3314).
A/51/10 (1996); le projet de codification de 1996 ne précise cependant pas les éléments du crime. Un essai de définition avait été entrepris dans le cadre de l'article 15 du projet de 1991 (A/46/10 (1991), qui avait donné lieu à controverse. Sur cette tentative, voir Nyamuya Maogoto,
Cl. Kreß, “The Iraqi Special Tribunal and the Crime of Aggression”, 2
L'adoption du Statut de la CPI à Rome n'a conduit qu’à une résurrection partielle de l'incrimination: une fois de plus, il s'est révélé impossible de trouver un accord sur la définition du crime, et les Etats étaient de surcroît divisés quant au rôle que devait jouer le Conseil de sécurité au regard de la procédure relative au crime d'agression devant la CPI. Cependant, l'idée selon laquelle le crime d'agression devait relever de la compétence
Pour un résumé concis des débats qui se sont tenus à Rome, voir. G. Westdickenberg et O. Fixson, “Das Verbrechen der Aggression im Roemischen Statut des Internationalen Gerichtshof”, in: J.A. Frowein et al.,
1. La compétence de la Cour est limitée aux crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale. En vertu du présent Statut, la Cour a compétence à l’égard des crimes suivants:
…
(d) Le crime d'agression
2. La Cour exercera sa compétence à l’égard du crime d'agression quand une disposition aura été adoptée conformément aux articles 121 et 123, qui définira ce crime et fixera les conditions de l'exercice de la compétence de la Cour à son égard. Cette disposition devra être compatible avec les dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies.
Bien que cette dernière disposition ait eu pour but d'empêcher la Cour d'exercer sa...
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