Construction et déconstruction du groupe ethnique

DOI10.1177/019251218901000403
Date01 October 1989
Published date01 October 1989
AuthorJean Tournon
Subject MatterArticles
331
Construction
et
déconstruction
du
groupe
ethnique
JEAN
TOURNON
RÉSUMÉ.
Une
reconstruction
conceptuelle
du
groupe
ethnique
est
proposée
en
première
partie,
qui
souligne
l’unite
(donc
la
comparabilité)
du
phénomène
ethnique
dans
ses
écarts
d’intensité
et
d’orientation,
dans
les
multi-appartenances,
dans
ses
diverses
formes
historiques
et
dans
ses
diverses
relations
au
politique.
Axée
sur
l’auto-definition
du
groupe
ethnique
et
inventoriant
quelques
conséquences
de
cette
construction
ou
déconstruction
sociale,
la
seconde
partie
esquisse
de
nouvelles
approches
de
l’ethnogenèse.
La
conclusion
s’interroge
sur
les
répercussions
possibles,
pour
la
science
politique,
de
l’aspiration
de
certains
occidentaux
à
une
déconstruction
idéologique
d’une
ethnicité
qu’ils
assimilent
volontiers
au
racisme.
Abordant
1’ethnicit6 ~
partir
du
terrain
et
de
1’approche
des
groupes
d’int6r~t,
notamment
des
groupes
de
localit6,
on
est
frapp6
de
ce
que
la
cat6gorie
des
groupes
ethniques
soit
identifi6e
sans
controverse
majeure
(ce
qui
n’est
pas
le
cas
pour
beaucoup
d’autres
categories
de
groupes)
mais
que
cela
n’ait
pas
correspondu a
une
grande
avanc6e
de
nos
connaissances.
Est-ce
a
cause
de
1’extraordinaire
fragmenta-
tion
du
champ
d’6tude
ou
se
c6toient
sans
se
parler
sp6cialistes
par
continents,
par
r6gions
et
par
ethnies,
sp6cialistes
des
relations
inter-ethniques
dans
les
grands
centres
urbains,
sp6cialistes
de
1’ethnocentrisme,
etc.?
Ou
est-ce
a
cause
des
nombreuses
restrictions
apport6es
de
facto
aux
investigations
qui
privil6gient,
en
effet,
les
situations
conflictuelles
et
les
pays
moins
d6velopp6s?
La
I~re
partie
suggère
une
(re)construction
conceptuelle
de
1’ethnicit6,
visant
a
embrasser
plus
largement
la
cat6gorie
&dquo;groupe
ethnique&dquo;.
La
II6me
partie
insiste
sur
la
construction
sociale
(ou
auto-d6finition)
du
groupe
ethnique
comme
susceptible
d’introduire
dans
sa
perception
davantage
de
pluralisme
et
de
contemporan6it6.
1.
Construction
conceptuelle
de
1’ethnicite
&dquo;N’est
proprement
&dquo;comparable&dquo;
que
ce
qui
est
ressemblant,
et
la
difference
pr6-
suppose
le
&dquo;recouvrement&dquo;,
c’est-~-dire
cette
unification
sp6cifique
du
similaire
... &dquo;
332
(Husserl,
cite
par
Affergan,
1987:263).
Ce
travail
sur
les
groupes
ethniques
a
6t6
guid6
par
le
d6sir
de
faire
apparaitre
davantage
de
&dquo;ressemblances&dquo;
entre
un
bien
plus
grand
nombre
de
&dquo;similaires&dquo;
que
ne
1’envisage
habituellement
la
science
politique.
Partant
de
1’accord
assez
general
sur
la
caract6risation
du
groupe
ethnique
cette
premi~re
partie
s’attache
aux
restrictions
qui
sont
apport6es
de
facto ~
la
selection
des
sujets
de
cette
cat6gorie,
et
qui
sont
particulièrement
dommageables
a
une
approche
comparative
ainsi
leurr6e
vers
des
terrains
moins
riches.
Quatre
proposi-
tions
m6thodologiques
sont
faites
tendant a
r6int6grer
dans
la
cat6gorie
les
faits
ethniques
qui
en
étaient
exclus
en
raison
de
leur
non-conformit6
a
un
standard
m6diocre
ou
de
leur
non-exclusivit6,
de
leur
positionnement
historique
ou
politique.
Une
meilleure
mesure
de
1’ampleur
et
de
la
vivacite
du
phénomène
ethnique
et
une
meilleure
compr6hension
de
ses
m6canismes
essentiels
en
sont
escompt6s.
1.
Uniti
du
phénomène
ethnique
dans
ses
intensitis
inégales
Peut-~tre
parce
que
les
media
et
les
textes
de
science
politique
ne
parlent
guère
d’eux
lorsqu’ils
sont
paisibles
ou
r6sign6s
ou
vacillants,
les
attachements
de
nature
ethnique
sont
trop
souvent
reperes
(et
ensuite
&dquo;reconnus&dquo;)
par
leur
bruit,
leur
virulence,
voire
leur
violence.
Or
1’ethnicit6
comprend
tout
autant
la
cat6gorie
du
tranquille
que
celle
du
virulent,
la
cat6gorie
du
perplexe
que
celle
du
p6remptoire,
celle
de
la
b6atitude
muette
que
celle
de
la
revendication
stridente.
Il
importe
de
r6tablir
le
registre
de
1’ethnicit6
dans
son
integralite
car
son
amputation
n’est
ni
innocente
ni
sans
consequences.
Elle
n’est
pas
innocente
car
elle
se
fonde
sur
des
condamnations
a
priori
du
genre
de
&dquo;le
lien
ethnique
est
ascriptif,
donc
du
domaine
de
l’irrationnel,
donc
il
trouble
l’ordre
des
compromis
raison-
nables&dquo;
ou
&dquo;l’appartenance
ethnique
est
plus
mobilisatrice
que
les
autres,
donc
c’est
du
fanatisme&dquo;.
Et,
par
ailleurs,
ses
consequences
m6thodologiques
sont
graves:
la
fixation
sur
les
manifestations
les
plus
6clatantes
et
les
plus
agit6es
fait
ignorer
les
processus
&dquo;en
douceur&dquo;,
tensions
ou
dominations
qui
ne
font
pas
de
bruit,
d6chirements
inavou6s,
montee
de
l’indiff6rence,
&dquo;exit&dquo;.
De
m~me,
il
est
dommageable
de
ne
voir
du
phénomène
que
sa
positivit6:
sentiment
d’attachement
souvent
fort,
parfois
exalte,
a
son
peuple
(avec,
quelquefois,
un
envers
de
m6pris
ou
de
haine
envers
d’autres
peuples),
et
dont
on
vient
de
souligner
qu’il
avait
aussi
des
niveaux
faibles,
tres
faibles,
pouvant
aller
jusqu’~
l’indiff6rence.
11
faut
continuer
1’echelle
dans
sa
partie
n6gative:
le
sentiment
ethnique,
envisage
dans
sa
n6gativit6,
vise
encore
son
propre
peuple
mais
pour
en
avoir
honte
ou
pour
le
tourner
en
derision
ou
parfois
pour
le
poursuivre
d’une
haine
implacable.
Comme
1’ethnicit6
negative
fait
peur,
on
n’en
parle
pas
ou
on
la
met
en
scene
m6lodramatiquement
pour
quelques
grands
traitres,
mais
si
on
cherchait
a
en
faire
1’etude
peut-etre
la
trouverait-on
plus
r6pandue
qu’on
ne
l’imagine,
parfois
haut
plac6e.
En
tout
cas,
la
comparaison
dans
1’espace
et
dans
le
temps
des
modes
de
fonctionnement
de
1’ethnicit6
ne
saurait
commencer
par
la
double
disparition
des
situations
de
calme
ou
d’auto-d6testation.
2.
Possible
coexistence
de
liens
ethniques
La
coexistence
de
plusieurs
communaut6s
ethniques
au
sein
d’un
Etat
est
un
phénomène
assez
bien
connu,
6tudi6
par
les
sp6cialistes
des
relations
ethniques,
des

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