Du Déclenchement de la Compétence de la Cour Pénale Internationale à L’égard du Crime D'agression

Published date01 November 2019
Pages546-563
DOI10.3366/ajicl.2019.0290
Date01 November 2019
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Extrait

Dans les premières heures du 15 décembre 2017, l'Assemblée des États parties au Statut de Rome a pris la décision de déclencher la compétence de la Cour pénale internationale à l’égard du crime d'agression à compter du 17 juillet 2018. La résolution de déclenchement a été adoptée après d'intenses négociations concernant un des aspects du régime de compétence qui était demeuré controversé depuis l'adoption des Amendements de Kampala sur le crime d'agression. L'innovation de New York complète le travail des Conférences de Rome et de Kampala et marque le point culminant d'un fascinant voyage long d'un siècle. En dépit de toutes ses imperfections, le consensus atteint au siège des Nations unies émet un appel opportun à la conscience de l'humanité consacrant l'importance fondamentale de l'interdiction de l'utilisation de la force dans tout ordre juridique international ayant pour objectif la préservation de la paix mondiale.

VERSAILLES, NUREMBERG, TOKYO ET ROME : LES PREMIERS JALONS D'UN LONG VOYAGE

Dans un discours prononcé lors d'une manifestation de campagne électorale en novembre 1918, le Premier Ministre britannique, David Lloyd George, déclara:

Quelqu'un … est à l'origine de cette guerre qui a pris les vies de millions des meilleurs jeunes hommes en Europe. Ne devrait-on pas tenir quelqu'un responsable pour cela ? De toute façon, même si tel est le cas, il y a une justice pour le pauvre et misérable criminel et une autre pour les rois et les empereurs1.

Si le message du premier ministre provoqua les applaudissements du public, la réponse des diplomates de l’époque fut moins enthousiaste. Dans son Rapport du 29 mars 1919 présenté à la Conférence des préliminaires de paix, la Commission des responsabilités des auteurs de la guerre et sanctions atteignit la conclusion suivante

La préméditation d'une guerre d'agression, dissimulée sous un prétexte pacifique, puis soudainement déclarée pour des prétextes fallacieux, est une conduite que la conscience publique réprouve et que l'histoire condamnera, mais, en raison du caractère purement optionnel des institutions de La Haye pour le maintien de la paix … une guerre d'agression ne peut être considérée comme un acte directement contraire au droit positif, ou un acte qui pourrait être présenté avec succès devant un tribunal et que la Commission serait autorisée à examiner dans le cadre de son mandat.

Cette confirmation de la vision prédominante du droit international du dix-neuvième siècle quant à l'utilisation de la force par les États, présageait de l’échec du premier essai d'instauration d'un précédent pour la criminalisation internationale de la guerre agressive2. Cet échec, cependant, était également un prologue. La Commission des responsabilités avait déjà accompagné sa conclusion assez expéditive d'un indice qui laissait entrevoir un éventuel changement de direction : « Il est souhaitable qu’à l'avenir des sanctions pénales soient prévues pour de si graves affronts aux principes élémentaires du droit international. »

Dans la période d'entre-deux-guerres, ce souhait fut retenu par un mouvement d'universitaires, qui firent une contribution innovante à la construction du droit pénal international. En particulier, la proposition pour un crime d'agression prit une place primordiale dans le plan d'un code répressif mondial de Vespasian Pella en 1935. Mais, ainsi que Pella lui-même l'observa rétrospectivement, « les États ne firent presque rien entre les deux guerres pour créer un système international de justice ».

Entre temps, le Royaume-Uni avait également rejoint le rang des sceptiques. En 1927, le ministre des Affaires étrangères britannique Austen Chamberlain indiqua à la Chambre des communes qu'il considérait qu'une définition de l'agression constituerait « un piège pour les innocents et une balise pour les coupables »3. Pourtant, au plus traditionnel niveau interétatique du droit international, le Pacte Kellogg-Briand de 1928 (qui est la pièce centrale du fascinant ouvrage, actuellement fortement débattu, The Internationalists de Oona A. Hathaway et Scott J. Shapiro4) marqua la transition en droit international positif du ius ad bellum à un ius contra bellum. Le Pacte alla même plus loin et s'opposa à l'idée que l'exécution d'une obligation légale pourrait, en tant que telle, constituer une « juste cause » pour la guerre. Le Pacte fut bien accueilli et entra en vigueur dès 1929. Et quand la décision fut prise, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, d'initier des poursuites pénales à l'encontre des guerres d'agression de l'Allemagne, le Pacte devint le texte juridique de référence. Le fait que le Pacte ne contienne pas de sanctions pénales était évidemment bien connu. Mais les dirigeants politiques du monde entier étaient désormais déterminés à établir un précédent original. Au procès de Nuremberg, le procureur général britannique Hartley Shawcross traduisit cette détermination avec les mots suivants : « Si cela doit être une innovation, c'est une innovation que nous sommes prêts à défendre et justifier ». Et Robert Jackson, le charismatique procureur général américain, qui était l'une des forces motrices les plus importantes à l'origine de ce précédent original à venir, fit cette célèbre promesse : « Et permettez-moi de clarifier que, si elle est appliquée ici pour la première fois envers les agresseurs allemands, la loi, pour poursuivre un but utile, prévoit également la condamnation d'agressions résultant des autres nations, en ce compris celles qui siègent ici en jugement ».

La délégation britannique à Nuremberg, conseillée par Hersch Lauterpacht, alors en train de se positionner en tant que figure dominante en droit international, pouvait elle-même se sentir enhardie par la puissante déclaration que Lauterpacht avait faite quelques années avant le Procès de Nuremberg : « Le droit de toute société internationale digne de ce nom doit rejeter avec réprobation l'idée selon laquelle il ne peut y avoir d'agression punissable entre les nations ». La défense répondit en se fondant sur le principe de légalité. Non sans éloquence, Hermann Jahrreiß, professeur à l'Université de Cologne, plaida :

[L]es règles de la Charte [de Londres] nient les bases du droit international, elles anticipent le droit d'un État mondial. Elles sont révolutionnaires. Peut-être que dans l'espoir et le désir des nations, l'avenir leur appartient. Le juriste, et en cette seule qualité puis-je m'exprimer ici, doit uniquement établir qu'elles sont nouvelles, révolutionnairement nouvelles. Les lois sur la guerre et la paix entre les États ne contenaient pas de place pour elles – ne pouvaient pas contenir une quelconque place pour elles. C'est pourquoi il y a des lois pénales rétroactives.

Mais, comme il était peut-être possible de s'y attendre, le jugement de Nuremberg de 1946 reprit essentiellement l'accusation. Il déclara avec force : « Engager une guerre
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