L'État Liberal Et L'Expansion De L'Espace Public Etatique

DOI10.1177/019251218600700206
AuthorLéon Dion
Date01 April 1986
Published date01 April 1986
Subject MatterArticles
190
L’ÉTAT
LIBERAL
ET
L’EXPANSION
DE
L’ESPACE
PUBLIC
ETATIQUE
LÉON
DION
Le
texte
vise
à
montrer
comment
les
conditions
de
la
mise
en
oeuvre
de
l’Etat
libéral
modifièrent
substantiellement
les
attentes
des
théoriciens
libéraux
concernant
les
rap-
ports
de
la
société
civile,
de
la
sphère
publique
non
étatique
et
de
l’Etat.
Ce
dernier,
en
effet,
s’étant
vu
attribuer
le
monopole
de
l’exercice
du
pouvoir
sur
l’ensemble
de
la
communauté
politique,
loin
de
s’amenuiser
conformément
aux
prévisions
étendit
graduellement
son
champ
d’intervention
à
la
faveur
d’un
concours
de
circonstances
et
surtout
en
raison
du
fait
de
l’infusion
dans
l’Etat
libéral
d’une
rationalité
politique
ax-
ée
sur
une
volonté
de
puissance
lui
procurant
une
"courbure
étatique"
qui
lui
permit
de
concurrencer
la
rationalité
économique
sur
son
propre
terrain
et
parvenir
même
parfois
à
se
la
subordonner.
Le
moins
que
1’on
puisse
dire
du
mode
d’organisation
socio-politique
qui
s’61abore
sur
les
ruines
de
la
f6odalit6
sous
l’impulsion
de
la
bourgeoisie
et
de
l’intelligentsia,
c’est
qu’il
ne
distingue
pas
de
faqon
pr6cise
les
droits
prives,
publics
et
juridiques.
De
tels
droits,
bien
sur,
sont
reconnus,
mais
il
subsiste
beaucoup
de
confusion
quant
a
leur
nature
reelle
et
leurs
domaines
d’application
respectifs.
Or,
1’evolu-
tion
des
rapports
entre
la
societe
civile
et
1’Etat
ne
devait
pas
permet-
tre
de
mieux
les
clarifier.
Au
contraire,
il
devint
de
plus
en
plus
difficile
de
les
diff6rencier,
tant
ils
finirent
par
s’interpenetrer.
Le
paradigme
liberal
posait
comme
pierre
d’assise
la
primaut6
de
1’individu.
Les
droits
sp6cifiques
qu’il
etablissait -
libert6
de
n’etre
pas
soumis a
des
imp6ts
et
a
une
justice
arbitraires,
libert6
d’expression,
libert6
religieuse,
libert6
de
mouvement,
d’initiative,
d’entreprise
et
d’association,
devoir
de
m6c6nat -
abrogeaient
les
residus
des
anciens
privileges
f6odaux.
En
outre,
ils
n’dtaient
pas
perqus
comme
ne
de-
vant
valoir
que
pour
la
classe
bourgeoise,
qui
était
seule
en
mesure
d’en
jouir
concrètement
dans
les
conditions
socio-6conomiques
ex-
istantes,
mais
ils
etaient
con~us
comme
des
droits
naturels,
donc
valables
pour
tous
les
etres
humains.
Dans
1’esprit
des
premiers
191
lib6raux,
le
domaine
prive,
couvrant
la
vie
intime
et
familiale,
1’6conomie
et
1’organisation
sociale,
devait
etre
tres
large
et
dans
1’avenir
continuer
a
s’6tendre
ind6finiment.
Concernant
la
sphere
pub-
lique
non
6tatique,
il
arriva
qu’avec
la
disparition
de
la
monarchie
absolue
et
1’6tablissement
de
1’Etat
liberal,
elle
perdit
de
son
mordant,
la
pr6occupation
premiere
de
1’opinion
publique
6tant
d6sormais
bien
moins
la
critique
d’un
pouvoir
politique
enfin
soumis
que
la
socialisa-
tion
des
citoyens.
Quant
a
1’Etat
liberal
lui-meme,
les
premiers
liberaux
s’entendirent
pour
lui
confier
le
domaine
des
relations
internationales
et
celui
de
la
justice
g6n6rale
dans
la
societe.
Mais
certains
pr6voyaient
qu’il
deviendrait
de
moins
en
moins
utile
et
qu’il
pourrait
meme
Etre
appel6
a
disparaitre
sous
son
aspect
coercitif,
tandis
que
d’autres,
plus
pratiques
et
prevoyants,
cherchaient
a
mettre
en
place
les
institutions
d’une
democratic
representative
et
parlementaire
qui
avaient
6t6
esquissees
au
moyen
age,
et
dont
les
protagonistes
attendaient
qu’elles
sanctionneraient
juridiquement
les
interets
individuels,
garantissant
de
la
sorte
la
primaut6
des
droits
individuels
sur
les
droits
collectifs
(Oakeshott,
1977:
322).
Toutefois
les
anticipations
des
lib6raux
furent
ddques.
L’espace
prive,
certes,
gagna
pendant
un
certain
temps
du
terrain
mais
en
1’absence
d’un
sentiment
d’urgence
qui
eut
maintenu
en
6veil
1’esprit
critique,
1’espace
public
non
6tatique
manqua
de
vigueur
et
I’autonomie
des individus
et
des
collectivites
particulieres
fut
mal
assur6e.
Par
ailleurs,
dans
le
but
d’6viter
la
diffusion
de
I’autorit6
politique
parmi
plusieurs
centres
de
pouvoir
rivaux
comme
c’6tait
le
cas
au
moyen
age,
les
lib6raux
choisirent
de
concentrer
le
gouvernement
general
de
la
societe
en
un
seul
lieu:
1’Etat.
Ils
esperaient
de
la
sorte
qu’il
serait
plus
facile
de
soumettre
un
gouvernement
centralise
au
con-
tr6le
des
citoyens.
En
fin
de
compte
ce
fut
le
contraire
qui
se
produisit.
S’6tant
vu
attribuer
le
monopole
de
1’exercice
16gitime
du
pouvoir
sur
1’ensemble
de
la
communaute
politique,
1’Etat
en
profita
pour
tenter
d’accroitre
ind6finiment
ce
pouvoir.
D’une
part,
il
s’infiltra
autant
qu’il
le
put
dans
1’espace
public
non
6tatique
et,
d’autre
part,
il
établit
des
con-
tr6les
de
plus
en
plus
6tendus
et
serr6s
sur
la
sphere
privee
elle-meme,
et,
dans
plusieurs
cas,
par
des
nationalisations
et
autres
proc6d6s,
il
s’appropria
meme
directement
une
partie
substantielle
de
cette
sphere.
Loin
donc
de
n’etre
que
le
reflet
6vanescent
de
la
societe
civile
comme
le
pr6voyaient
les
premiers
lib6raux,
1’Etat
s’6rigea
graduellement
en
agent
contr6leur
de
celle-ci.

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