Genèse et conséquences du mimétisme administratif en Afrique

AuthorGeorges Langrod
DOI10.1177/002085237303900203
Date01 June 1973
Published date01 June 1973
Subject MatterArticles
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Genèse et conséquences du mimétisme
administratif en Afrique
CDU : 330.114.2 : 35.06 (6)
par
Georges LANGROD,
Directeur de recherche au CNRS, Paris
1 -
Le mim6tisme administratif, d6riv6
Pour entreprendre un essai d’analyse de ce
du mim6tisme culturel et linguistique, voire
phenomene (1), il faut d’abord essayer d’eclair-
aussi juridico- politique mais avant tout socio-
cir bri6vement la notion meme du mimdtisme :
psychologique
il
- constitue
dans tout le
s’agit d’un processus de reproduction plus
« tiers-monde » (quel que soit le continent) un
ou moins machinale des attitudes (2); terme
trait sp6cifique accompagnant les aspirations
d’histoire naturelle, le mim6tisme se rattache
au d6veloppement. Des qu’on saisit le role de
originairement a la faculte de certains ani-
1’Administration publique comme un des
maux de prendre une apparence conforme aux
facteurs fondamentaux de toute oeuvre de
objets qui les entourent (3). Ainsi cette ex-
d6veloppement, on se met a chercher une
pression (4) -
actuellement en usage dans le
politique, consideree comme la plus ad6quate
langage biologique, lanc6e des 1817 par les
et permettant de fournir au pays en cause un
Anglais Kirby et Spence, reprise en 1861 par
appareil administratif correspondant le mieux
Henry Bates, admise en France des 1874 (2)
a ses besoins et en memo temps rendant pos-
-
provient du verbe « mimer » = contrefaire
sible la gestion moderne de la chose publique.
la fagon d’autrui, et doit 8tre rattach6e a la
La solution qui dans l’irnm6diat s’av6re la
notion anglaise « mimicry » = ressemblance
moins compliqu6e est de maintenir 1’ancien
modèle colonial deja tant bien que mal im-
plante dans le pays, ayant orient6 1’esprit du
(1) Il est regrettable que « malgré leur importance,
personnel sur place et paraissant rode; on y
ces problèmes administratifs sont généralement né-
pratique des accommodements et des am6nage-
gligés par les administrativistes et même par les spé-
cialistes de la Science administrative» dit P.G. Gonidec,
ments fragmentaires, conformes aux n6cessit6s
L’Etat Africain (Evolution — fédéralisme — centralisa-
r6sultant de 1’6tat d’ind6pendance, du souci de
tion et décentralisation

Panafricanisme), Paris,
transition, aussi harmonieuse que possible, de
1970, p. 185.
la necessite d’une certaine modernisation pro-
(2) Cf. Larousse (édition en trois volumes), 1966
gressive. On
(volume II,
a beau vouloir
page 986).
rompre les attaches
(3) Cf. Littré (édition 1957), vol. V, p. 350. A
avec 1’ancienne puissance dominante, mais
noter que le dictionnaire de Littré — dans son édition
-
paradoxalement -
en cherchant des mo-
originale — ne connaissait pas le « mimétisme »; on
d6les, des exemples, des objets d’imitation, on
trouve ce mot seulement dans le
« Supplément » de
s’arrete fatalement
Littré.
sur cet ancien mod6le, un
(4) Il y a lieu de confronter cette notion par exemple
peu remanié, mais pr6sentant moins de risque
avec celles de
«
Homochromie
»
= rattachement
de bouleversements dans une situation qui
par adaptation au milieu biologique environnant,
et
-
tout post-revolutionnaire qu’elle puisse
« Homomorphie » (= Homotypie), c’est-à-dire
etre
adaptation aux objets voisins. Les deux doivent servir
-
exige qu’on travaille dans le calme et
en biologie à protéger l’animal contre le danger du
qu’on ne modifie qu’6volutivement. Dans un
côté des prédateurs (mimétisme défensif, voire aussi
sens, on fait ainsi continuer les structures, les
reproductif); l’homochromie comporte la copie
pratiques, les techniques ex-coloniales, quitte
des couleurs et l’homomorphie celle des formes.
A les adapter
Tous ces phénomènes doivent être différenciés des
par la rel~ve des hommes et par
cas de ressemblance fortuite (= évolution conver-
une r6orientation des conceptions en fonction
gente) qui — autant que l’adaptation similaire — n’est
de nouvelles valeurs de de nouveaux objectifs.
pas un mimétisme (cf. Georges Pasteur, Le mimétisme,
Dans des pays du « tiers-monde » oll la période
Paris, P.U.F., 1972, page 7). A noter que dans un
coloniale est lointaine,
sens large de l’expression, E.B. Ford (Encyclopaedia
on peut opter pour un
Britannica, édition 1968, « Mimicry ») utilise la notion
mod6le 6tranger, paraissant se pr8ter le mieux
de « ressemblance trompeuse », ce qui semble carac-
aux besoins r6els du pays d6termin6.
téristique.


120
voulue d’une esp6ce a une autre. Il faut situer
Bien que pratique partout dans le « tiers
ce ph6nom6ne dans le cadre d’un syst6me
monde », le mim6tisme constitue un processus
6cologique, a savoir une sorte de « systeme mi-
difficile et sa r6ussite semble toujours tout au
m6tique » comportant d’une part un mod6le
plus partielle du moins a longue 6ch6ance.
(agent 6metteur du stimulus) et d’autre part
En effet, construit ailleurs pendant un long
un « mime » (agent qui plagie ou qui subit le
laps de temps et difficilement transfdrable dans
modele), voire aussi, le cas dch6ant, des dupes
un contexte toto orbe different, il se trouve
(leurr6s par le plagiat). Transpos6e, en d6pit
impose pour des raisons diverses sans qu’il
de diff6rences compr6hensibles (5) de la bio-
soit possible de greffer, avec plein succ6s, un
logie dans les sciences sociales, cette expression
syst6me de valeurs etranger sur des valeurs
parait pouvoir faciliter I’analyse du processus
indigenes. L’option en faveur du mim6tisme
de l’implantation dans une communaut6 don-
r6sulte des circonstances, -
le plus souvent
n6e (= mime) d’un mod6le etranger tel quel,
de 1’heritage colonial quand on maintient cette
soit impose par un conqu6rant ou par les
sorte de « chasse gard6e » de 1’ancienne puis-
circonstances spdcifiques, soit adopt6 puisque
sance dominante pour des raisons opportu-
considere comme utile sous 1’angle des besoins
nistes et a l’oppos6 de considdrations ideologi-
du milieu determine et comme adaptable aux
ques. II se peut que les bases socio-culturelles
valeurs, aux traditions et aux n6cessit6s de ce
se pretent en l’occurrence tout particuli6rement
milieu.
a 1’essai d’int6gration, plus ou moins r6ussi,
ou du maintien de 1’ancien modele colonial
On a donc ici affaire a des tentatives de
dans le cadre de la propre culture du meme
transfert, de transposition d’un « produit »
pays « preneur ». Mais quoi qu’il en soit, on a
social fini (ou considere comme tel), de pas-
toujours affaire a une copie approximative,
sage direct d’un stade donn6 de 1’evolution
ne tenant
culturelle de
pas compte d’aspirations profondes,
sa propre communaut6 sociale
de particularit6s et de tendances de la popu-
-
a un stade avanc6 du processus evolutif,
lation ; le modele reste non autochtone, meme
puis6 a 1’etranger et y correspondant a un
s’il parait superficiellement assimjl6 (7); il n’a
climat psychologique different. Ainsi on con-
pas pouss6 comme une plante dans le milieu
state un veritable « saut », accompli artificielle-
indig6ne, mais rel~ve de la « diffusion du
ment, d’un 6tat de chose naturel, fr6quemment
primitif et arri6r6, a un beaucoup plus haut
degr6 de d6veloppement administratif, adopt6
moder de l’existence de sociétés indigènes. C’est à
par voie de reception et dependant de la r6cep-
travers de telles expériences que l’on peut découvrir
tivit6 locale, du « style » r6gnant dans les
l’image que les métropoles avaient de la société par-
affaires publiques du pays determine, de l’in-
faite ; car c’est seulement à l’occasion de ces expé-
riences qu’elles ont
t6gration possible dans la hi6rarchie des
pu la projeter au moins partielle-
va-
ment dans la réalité ». Michel Crozier, Le phénomène
leurs et des traditions locales (6).
bureaucratique, Paris, Seuil, 1963, pp. 336 et 337.
Crozier cite ici l’exemple du Canada du 17
e
et 18
e
siècles (ibidem). Les Français y ont voulu réaliser
(5) Cette existence des
«
un dessein
«
dupes
» peut etre considérée
portant la marque de cette passion de
comme une differentia specifica entre le « mimétisme
»
rationalité, de ce désir de symétrie et d’harmonie...
biologique et social. En effet, dans
d’un
ce dernier cas,
système administratif dans lequel les gens auraient
le mime et le dupe
des
se confondent en règle générale,
positions clairement définies dans l’organigramme
d’ensemble et
en entier ou en partie. L’optique quant à l’origine,
se comporteraient comme il convien-
drait,
au maintien et au rôle de la ressemblance, diffère
pour chacune de ces positions... (Sigmond
ici et là. Sur le plan social, les intéressés ne sont plus
Diamond, « An Experiment in Feudalism : French
Canada in the 16th
«
sympatrides
puisqu’ils vivent séparés sur le plan
Century » in William and Mary
spatial. Le phénomène de « cryptisme
» (= « dissi-
Quarterly, 1961, p. 3 et suivantes). Ainsi d’une part
mulation ») ne joue pas dans le même sens. Mais
on souligne dans la littérature le désir de réaliser à
dans les deux
travers le mimétisme un
«
idéal de la bonne société
cas, on trouve quand meme maintes
»
ressemblances mimétiques comparables, justifiant le
dans le vide (Crozier, op. cit., p. 337) et d’autre part
certains
recours à
la terminologie identique. Cf. aussi
auteurs
par
parlent de l’état naturel (pré-colonial)
exemple W. Wickler, Le mimétisme animal et végétal
comme d’une «
période d’Arcadie » (Sir Douglas
(traduit de l’allemand), Paris, Hachette, 1968, passim
Newbold, The making of modern Sudan, Londres,
et L. Chopard, Le mimétisme, Paris, Payot, 1949.
1953, p. 55) auquel on tenta de superposer un système
(6) «...

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